Le 20 août 1912, un jeune homme débraillé et chancelant est arrivé à Green Acre, dans le Maine, où séjournait ‘Abdu’l-Bahá. Il s’appelait Fred Mortensen. Voici son histoire :

Dans ma jeunesse, mes fréquentations n’étaient pas des meilleures et, comme je côtoyais des durs-à-cuire, je suppose que j’avais décidé d’être aussi rebelle que les autres. Je désobéissais à toutes les lois imaginables, qu’elles soient divines ou humaines. Bien que cela me semble parfois étrange, c’est au contact de ces lois que j’ai eu la chance d’être guidé vers cette merveilleuse révélation.

Ma chère mère avait fait tout son possible pour faire de moi un bon garçon. J’ai pour elle l’amour le plus profond et j’ai souvent eu du chagrin en pensant à quel point elle devait s’inquiéter pour ma sécurité ainsi que pour mon avenir. Malgré tout cela et le plus merveilleusement du monde, elle priait sans cesse, dans l’espoir que son garçon trouve la voie qui mène à la droiture et au bonheur. Mais mon entourage représentait un grand obstacle à ses aspirations et, de jour en jour, je m’endurcissais à tous points de vue. J’aimais me battre autant que manger, et je considérais que briser la vitrine de l’épicier pour lui voler des fruits ou d’autres choses était une bonne plaisanterie…

[…] j’ai été en cavale pendant quatre années, m’étant enfui de prison en attendant le procès. Peu après, alors qu’un jeune homme se faisait arrêter, j’ai évidemment essayé de le soustraire au policier. Au même moment, deux détectives sont arrivés et, dans ma hâte de leur échapper, je me suis cassé une jambe en sautant d’un mur de trente-cinq pieds tandis que les balles sifflaient autour de moi.

À l’époque, mon avocat était Albert Hall, notre illustre frère bahá’í maintenant disparu, à qui je dois maints remerciements et mon éternelle amitié, car il m’a aidé à me libérer de la prison des hommes et de l’ego. C’est lui qui m’a fait sortir de la sombre prison; c’est lui qui m’a parlé, heure après heure, du grand amour de ‘Abdu’l-Bahá pour tous ses enfants et qui m’a dit qu’il était là pour nous aider à montrer ce même amour à nos semblables. Honnêtement, je me suis souvent demandé, à l’époque, ce que M. Hall voulait dire lorsqu’il parlait autant d’amour : l’amour de Dieu, l’amour de Bahá’u’lláh, l’amour de ‘Abdu’l-Bahá… l’amour pour l’Alliance… J’étais perplexe. Pourtant, je retournais le voir, pour devenir encore plus perplexe, me disais-je; et je me demandais pourquoi… C’est ainsi que la parole de Dieu m’a fait renaître.

De nouveau, la force de l’Esprit saint m’a poussé – c’est du moins ce que j’ai cru – à aller voir ‘Abdu’l-Bahá. Comme j’avais entendu dire qu’il rentrerait peut-être chez lui [en Terre sainte] sans venir dans l’Ouest, j’ai immédiatement décidé d’aller le voir. Je n’allais pas rater l’occasion de rencontrer ‘Abdu’l-Bahá après avoir attendu si longtemps de pouvoir le faire.

Comme je n’avais pas beaucoup d’argent, je devais forcément trouver un moyen de me rendre à Green Acre sans payer. J’ai choisi le Chemin de fer Nickel Plate pour rejoindre Buffalo, dans l’État de New York. De Buffalo, je me suis installé sur les bogies jusqu’à Boston, un long trajet qui dura de minuit à neuf heures le lendemain matin. Le Chemin de fer Boston et Maine était le dernier relais entre ‘Abdu’l-Bahá et le reste du monde, me semblait-il, et lorsque je me suis glissé du toit d’un de ses trains de passagers à Portsmouth, New Hampshire, j’étais extrêmement heureux. Un tour en bateau, puis le tramway, et voilà, j’étais à la porte du Paradis. Mon cœur battant la chamade, j’ai posé le pied sur le sol… fatigué, sale et songeur, mais heureux…

En arrivant à l’hôtel, j’y ai trouvé un bon nombre de personnes qui, comme moi, voulaient voir ‘Abdu’l-Bahá. Étant l’un des derniers arrivés, je regardais autour de moi pour me mettre à l’aise quand quelqu’un s’est exclamé : « Le voilà qui arrive! »…

Il m’a semblé qu’une seule minute s’était écoulée avant que Ahmad ne descende et dise : « ‘Abdu’l-Bahá désire voir M. Mortensen. » Eh bien, j’ai failli m’évanouir. Je n’étais pas prêt. Je ne m’attendais pas à être appelé avant la toute fin. Je devais y aller; j’éprouvais un étrange sentiment, je m’interrogeais, me demandant ce qui allait arriver. Il m’a accueilli avec un sourire et une chaleureuse poignée de main, m’invitant à m’asseoir et s’asseyant face à moi. Ses premiers mots ont été : « Bienvenue! Bienvenue! Soyez le bienvenu », puis, « Êtes-vous heureux? » a-t-il répété trois fois. J’ai pensé : pourquoi me demandez-vous ça autant de fois? Bien sûr que je suis heureux; ne vous l’ai-je pas dit la première fois?

Puis il a dit : « D’où venez-vous? »

J’ai répondu : « De Minneapolis. »

Il m’a demandé : « Avez-vous fait bon voyage? »

S’il y avait une question que je voulais éviter, c’était bien celle-là!

J’ai baissé les yeux – et il a répété la question. J’ai levé la tête et l’ai regardé dans les yeux, et ses yeux étaient comme deux joyaux noirs étincelants qui semblaient regarder au plus profond de moi. Je savais qu’il savait et que je devais le lui raconter.

J’ai répondu : « Je ne suis pas venu comme le font généralement les gens qui viennent vous voir. »

Il a dit : « Comment êtes-vous venu? »

J’ai répondu : « J’ai voyagé sous ou sur des trains. »

En regardant les yeux de ‘Abdu’l-Bahá, j’ai vu qu’ils avaient changé et qu’une lumière merveilleuse semblait en émaner. C’était la lumière de l’amour, et je me suis senti soulagé et beaucoup plus heureux. Je lui ai expliqué comment j’avais voyagé par train, après quoi il m’a embrassé sur les deux joues, m’a donné beaucoup de fruits et a embrassé le chapeau sale que je portais, chapeau qui s’était sali pendant que je voyageais pour venir le rencontrer.

Alors qu’il s’apprêtait à quitter Green Acre, je me tenais tout près pour pouvoir lui dire au revoir et, à mon grand étonnement, il m’a ordonné de monter dans la voiture avec lui. Après avoir passé une semaine avec lui à Malden, dans le Massachusetts, je suis rentré chez moi avec le souvenir inoubliable d’un merveilleux événement.

Adapté de H. M. Balyuzi, ‘Abdu’l-Bahá : Le Centre de l’alliance de Bahá’u’lláh, p. 222-226


En octobre 1911, ‘Abdu’l-Bahá était chez des amis bahá’ís à Paris et il leur dit : « La nuit dernière, lorsque je suis rentré, je n’ai pas pu dormir. Je réfléchissais et me disais : ‘Me voici à Paris. Ô mon Dieu! Qu’est-ce que Paris et qui suis-je?’ Jamais je n’aurais cru, du fond de ma prison, que je viendrais ici et que je serais parmi vous, car j’étais condamné à perpétuité. Quand j’ai lu le document qui m’annonçait ma sentence, j’ai dit aux fonctionnaires : ‘C’est impossible!’ Ils étaient stupéfaits. Alors je leur ai dit : ‘Si Abdul-Hamid [le sultan de l’Empire ottoman] était immortel et si j’étais moi-même immortel, il lui serait possible de me condamner à la perpétuité, mais comme nous ne sommes pas immortels, c’est impossible. Mon esprit est libre et aucun homme ne peut l’emprisonner.’ »

Traduit de Earl Redman, ‘Abdul-Bahá in Their Midst, p 47


Quand il est arrivé en Angleterre, ‘Abdu’l-Bahá s’est trouvé face à une situation qui le préoccupait beaucoup, car il lui était impossible de soulager la misère qu’il voyait partout autour de lui. Logé confortablement à Cadogan Gardens, à Londres, il savait qu’il y avait, à un jet de pierre, des gens qui ne mangeaient jamais à leur faim – et c’était exactement la même chose à New York. Cela l’attristait beaucoup, et il dit : « Le temps viendra, dans un proche avenir, où l’humanité deviendra tellement plus sensible qu’aujourd’hui qu’un homme très fortuné ne pourra pas jouir de ses richesses à la vue de la pauvreté déplorable qui l’entoure. Pour son propre bonheur, il sera obligé de dépenser sa fortune afin de procurer de meilleures conditions de vie à la communauté dans laquelle il vit. »

Traduit de Annamarie Honnold, Vignettes from the Life of ‘Abdu’l-Bahá, p. 67


Une prière de ‘Abdu’l-Bahá

Ô toi, Bien-Aimé de mon cœur et de mon âme! Je n’ai d’autre refuge que toi. À l’aurore, ma voix ne se fait entendre que pour te célébrer et te louer. Ton amour m’enveloppe et ta grâce est parfaite. Je place mon espoir en toi.

Ô Dieu, à chaque instant, donne-moi une vie nouvelle; à tout moment, répands sur moi le souffle de l’Esprit saint afin que je puisse rester ferme dans ton amour, parvenir à une grande félicité, percevoir la lumière manifeste et connaître un état de tranquillité et de soumission suprêmes.

En vérité, tu es le Bienfaiteur, le Clément, le Compatissant.

Rencontres avec ‘Abdu’l-Bahá

Lisez ici des prières et des histoires sur l’exemple donné par ‘Abdu’l-Bahá